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Notes d'un peintre - Henri Matisse

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Ce que je rêve, c’est un art d’équilibre, de pureté, de tranquillité, sans sujet inquiétant ou préoccupant, qui soit, pour tout travailleur cérébral, pour l’homme d’affaire aussi bien que pour l’artiste des lettres, par exemple, un lénifiant, un calmant cérébral, quelque chose d’analogue à un bon fauteuil qui délasse de ses fatigues physiques.

 

On discute souvent sur la valeur des différents procédés, sur leurs rapports avec les différents tempéraments.

On aime à faire une distinction entre les peintres qui travaillent directement d’après nature, et ceux qui travaillent purement d’imagination. Pour moi, je ne crois pas qu’il faille prôner l’une de ces deux méthodes de travail à l’exclusion de l’autre. Il arrive que toutes deux soient soient employées tour à tour par le même individu, soit qu’il est besoin de la présence des objets pour recevoir des sensations et par là même surexciter sa faculté créatrice, soit que ses sensations se soient déclassées, et dans les deux cas, il pourra parvenir à cet ensemble qui constitue le tableau.

Cependant, je crois qu’on peut juger de la vitalité et de la puissance d’un artiste, lorsque impressionné directement par le spectacle de la nature, il est capable d’organiser ses sensations et même de revenir à plusieurs fois et à des jours différents dans un même état d’esprit , de les continuer ; un tel pouvoir implique un homme assez maître de lui pour s’imposer cette discipline.

Les moyens les plus simples sont ceux qui permettent le mieux au peintre de s’exprimer.

S’il a peur de la banalité, il ne l’évitera pas en se représentant par un extérieur étrange, en donnant des bizarreries du dessin ou les excentricités de la couleur. Ses moyens doivent dériver presque nécessairement de son tempérament. Il doit avoir cette simplicité d’esprit qui le portera à croire qu’il a peint seulement ce qu’il a vu. J’aime ce mot de Chardin : Je mets de la couleur jusqu’à ce que ce soit ressemblant. Cet autre de Cézanne : Je veux faire l’image et aussi celui de Rodin : Copiez la nature. Vinci disait : Qui sait copier c’est faire.

Les gens qui font du style de parti pris et s’écartent volontairement de la nature sont à côté de la vérité. Un artiste doit se rendre compte, quand il raisonne, que son tableau est factice, mais quand il peint, il doit avoir ce sentiment qu’il a copié la nature. Et même quand il s’en est écarté, il doit lui rester cette conviction que ce n’a été que pour la rendre plus complètement.

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