Notes d'un peintre - Henri Matisse
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Il est nécessaire que je précise le caractère de l’objet ou du corps que je veux peindre.
Pour y arriver, j’étudie mes moyens d’une manière très serrée : si je marque d’un point noir sur une feuille blanche, aussi loin que j’écarte la feuille, le point restera visible : c’est une écriture claire. Mais à côté de ce point, j’en ajoute un autre, puis un troisième, et déjà , il ya confusion. Pour qu’il garde sa valeur, il faut que je le grossisse au fur à mesure que j’ajoute un autre signe sur le papier.
Si sur une toile blanche, je disperse des sensations de bleu, de vert, de rouge, à mesure que j’ajoute des touches, chacune de celles que j’ai posées antérieurement perd de son importance.
J’ai à peindre un intérieur : j’ai devant moi une armoire, elle me donne une sensation de rouge bien vivant, et je pose un rouge qui me satisfait. Un rapport s’établit de ce rouge au blanc de la toile. Que je pose à côté un vert, que je rende un paquet par un jaune, et il y aura encore , entre ce vert ou ce jaune et le blanc de la toile des rapports qui me satisferont. Mais ces différents tons se diminuent mutuellement. Il faut que les signes divers que j’emploient soient équilibrés de telle sorte qu’ils ne se détruisent pas les uns les autres. Pour cela, je dois mettre de l’ordre dans mes idées : la relation entre les tons s’établira de telle sorte qu’elle les soutiendra au lieu de les abattre. Une nouvelle combinaison de couleurs succèdera à la première et donnera la totalité de ma représentation.
Je suis obligé de transposer, et c’est pour cela qu’on se figure que mon tableau a totalement changé lorsque , après des modifications successives, le rouge y a remplacé le vert comme dominante. Il ne m’est pas possible de copier servilement la nature, que je suis forcé d’interpréter et de soumettre à l’esprit du tableau. Tous mes rapports de tons trouvés, il doit en résulter un accord de couleurs vivant, une harmonie analogue à celle d’une composition musicale.
Pour moi, tout est dans la composition. Il est donc nécessaire d’avoir, des le début, une vision nette de l’ensemble.
Je pourrais citer un très grand nombre de sculpteurs qui nous donne des morceaux admirables : mais , pour lui, une composition n’est qu’un regroupement de morceaux, et il en résulte de la confusion dans l’expression .
Regardez au contraire un tableau de Cézanne : tout y est si bien combiné qu’à n’importe quelle distance, et quel que soit le nombre de personnages, vous distinguerez nettement les corps set comprendrez auquel d’entre eux et ou tel membre va se raccorder.
S’il y a dans le tableau beaucoup d’ordre, beaucoup de clarté, c’est que, dés le début, cet ordre et cette clarté existaient dans l’esprit du peintre, ou que le peintre avait conscience de leur nécessité. Des membres peuvent se croiser, se mélanger, chacun cependant reste toujours, pour le spectateur, rattaché au même corps et participe à l’idée du corps : toute confusion a disparu.